Autrefois la Tranche

Autrefois la Tranche

La bête d'Angles

La bête d'Angles

 

L’ours qui mange la beauté des filles d’Angles (Vendée)

 

Le vallon du Troussepoil, en Vendée, était anciennement le repaire d’une grosse bête noire à long poil, faite comme un ours, qui ravageait le pays à plusieurs lieues à la ronde en faisant ample consommation préférentiellement de filles mais également de garçons en âge de se marier : consternés, les habitants implorèrent toutes les puissances pour être délivrés d’un si grand fléau.

 

Il y avait, vers le XIIIe siècle, un ours qui sortait tous les jours de la mer pour venir déjeuner en terre ferme. Son aspect était affreux, naturellement, son appétit formidable et son goût raffiné. Il mangeait uniquement les jeunes garçons et les jeunes filles en âge de se marier. Ce qui désola nombre de fiancés, vous le devinez sans peine. Il avait même une préférence pour les jeunes filles. La terreur régnait à plus de six lieues à la ronde : les filles disparaissaient les unes après les autres, et les garçons, désolés, étaient obligés d’aller chercher femme dans le haut-pays du bocage.

 

Les parents se plaignaient de cette malebête, et se lamentaient, et ne faisaient guère autre chose, si ce n’est de montrer, de loin, le lieu où l’animal abordait chaque matin, où il traînait sa victime, la dépeçait, puis prenait l’eau. Ce lieu, ils l’avaient nommé Troussepoil, parce que l’ours, arrivant du large, ballotté par les vagues, offrait à peine figure d’ours, tant sa fourrure était hirsute. L’attaquer là, personne n’osait. Et ce n’était qu’un cri de douleur, dans les fermes de la contrée : « Qui nous délivrera ? »

 

Ours d\\\'AnglesOurs d'Angles

 

 

Ils pensèrent, non sans raison, qu’une bête à l’apparence si peu commune, ours malfaisant ou créature démoniaque, de goûts si pervertis, n’appartenait point à une espèce régulière, et serait plus facilement vaincue par la prière des saints que par la force des hommes. Tous les riverains de l’Océan, depuis l’embouchure du Lay jusqu’à celle de la Sèvre niortaise, se mirent donc à chercher un saint qui brisât la puissance de l’ours.

 

Mais déjà les saints étaient rares. Même en ce siècle de foi, la perfection véritable ne courait pas les campagnes du Bas-Poitou, et ceux qui faisaient profession de la pratiquer n’en possédaient souvent qu’une parcelle, ce qui ne suffit pas, chacun le sait, pour aller loin dans la voie des oeuvres.

Le curé d’Angles premier invité, n’eut pas plus tôt aperçu l’ours, sur la plage, qu’il reconnut sans peu de mérite à la grande peur qu’il éprouva : « Je suis indigne, s’écria-t-il en fuyant, et j’ai compris, aux yeux de la bête, qu’il fallait un autre homme que moi pour la vaincre. »

 

Les curés voisins n’eurent pas plus de chance. L’ours leur galopait sus, et ils n’y revenaient pas. On s’adressa ainsi à l’abbé de Fontaines, mais celui-ci échoua « pour avoir bu quatre chopines de vin passé minuit». L’abbé de Talmont, qui vint à son tour, échoua également, « pour avoir cassé la tête à un paysan qui lui barrait son chemin». Le légat du pape lui-même, en ce moment en tournée, fut supplié d’intervenir, et, bien qu’il eût jeûné, n’obtînt pas un meilleur succès, ayant commis le matin même un gros péché : il avait embrassé une fille.

 

Dans cette extrémité, comme les jeunes filles, une à une, étaient emportées par le monstre, et qu’on trouvait, presque chaque matin, sur le chemin du Troussepoil, une petite coiffe blanche, déchirée et ensanglantée, accrochée aux buissons, les anciens songèrent à un très vieux moine abbé du monastère d’Angles du nom de Martin, qui vivait si retiré qu’on ne savait plus la couleur de son regard. Il s’émerveilla du récit qu’on lui fit, et promit de redoubler d’austérités, trois jours durant, après quoi il irait à la rencontre de l’ours.

 

Le quatrième jour, en effet, il sortit de son abbaye, n’ayant en main que sa crosse de bois verni, non pour arme — car il était brisé par l’âge —, mais comme symbole d’autorité. Et il marcha, priant. Et l’ours, qui abordait en ce moment le rivage, encore tout couvert d’écume, après l’avoir considéré, sentit la puissance d’une vie sans reproche. Ils se reconnurent l’un et l’autre pour ce qu’ils étaient vraiment : un démon de l’enfer et un saint qui achevait son épreuve terrestre. « Viens ! » dit l’abbé.

L’ours le suivit, comme un chien attaché aux talons de son maître. Celui-ci ne se retournait pas . Le souffle bruyant de la bête, qui couchait les blés aux deux rebords du chemin, n’effleurait même pas la tunique de l’homme, qui restait droite et digne dans ses plis. Le peuple s’enfuyait. Lorsqu’ils furent devant l’église du bourg, qu’on finissait de bâtir, l’abbé commanda : « Ours de la mer, monte au clocher ! »

La bête, lentement, comme ceux qui obéissent à la force, commença de grimper sur la façade. Arrivée au toit elle tourna la tête, pour demander grâce. L’abbé qui n’aimait pas perdre ses mots, leva sa crosse, et l’ours embrassa les assises de la tour et monta plus haut. Quelques paysans se rapprochèrent. On vit les filles surtout, les filles dont la bête n’avait pas encore voulu, se faufiler, curieuses, dans les jardins voisins. Deux ou trois se risquèrent sur la place, puis cinq, puis six, puis toute une couronne, tandis que leur ennemi enveloppant les dernières pierres de la flèche de ses pattes velues, se dressait tout là-haut à califourchon au pied de la croix. On crut voir des larmes couler de ses yeux qu’il abaissait.

 

Ces larmes d’ours ne touchèrent personne. L’abbé n’en fut pas dupe. Il étendit la main et dit, en regardant d’abord les filles d’Angles et ensuite le monstre : « Ours de la mer, au nom du Dieu puissant, tu ne vivras plus que de la beauté des filles d’Angles. » Elles étaient toutes laides : c’était la mort. La bête fut de suite changée en pierre.

A cet instant, les visages aux traits fins des filles du pays se durcirent. Elles perdirent leur charme.

Mais ceci ne dura pas car les galants prièrent Dieu et l'abbé Martin de changer la sentence et de ne nourrir l'ours que de la beauté des filles volages.

Désormais les filles d’Angles respirent et les galants sont nombreux, cette nouvelle sentence étant pour eux une bonne garantie de fidélité.

Et ainsi s’explique la présence d’un ours à la pointe du clocher. Les raisons, paraît-il, lui manquant encore pour rouvrir les yeux.

Mais un autre curé plus malin fit percer une porte latérale pour déjouer le regard de la bête. 

 

Ours de la bête d\\\'Angles

La bête d'Angles

 

 

D’après une version de cette légende, l’ours d’Angles serait une des victimes de la Chasse-Gallery.

Le seigneur Gallery était sans pitié pour le paysan, et il profanait ouvertement le jour du Seigneur. Un dimanche, à l’heure de la grand’messe, avec ses chiens, il lance un cerf, malgré les remontrances de sa famille et de son curé. Forcé par la meute, le cerf se réfugie au moment du Sanctus dans une grotte habitée par un ermite ; celui-ci défend son hôte et refuse de le livrer à Gallery.

Il fait plus, il le menace de la vengeance céleste si, à cette heure sainte et solennelle, il ne fléchit pas les genoux pour réparer sa faute, en adorant son Créateur ; Gallery méprise l’avertissement que lui donne le ciel, il veut continuer sa chasse scandaleuse, mais la justice divine l’attendait là. « Va, Gallery, lui crie le pieux anachorète, va, et poursuis le cerf, le Tout-Puissant te condamne à le chasser toujours du coucher du soleil à son lever. »

 

Depuis lors, Gallery chasse toutes les nuits, tantôt sur la terre et tantôt dans la région des nuages. La chasse est ouverte par le cerf, suivi de la meute et du piqueur qui crie taïaut ! taïaut ! taïaut ! Un homme de Saint-Sornin (Charente-Maritime) l’entendit un soir passer. « Gallery, s’écria-t-il, avec un air incrédule et moqueur, je me mets de part avec toi, tu m’apporteras la moitié de ta chasse, allons, à demain matin ; en attendant fais bien ton devoir. » Quel ne fut pas son effroi, lorsqu’à l’aube du jour, il trouva à sa porte la moitié du cadavre d’une femme tuée par la bête pharamine (être noir et hideux qui se repaît de serpents et-de crapauds). Il se tint pour averti et n’insulta plus Gallery dont le triste sort est de brûler le jour dans les enfers, et de combattre la nuit les Turcs ou les Anglais, les ogres ou les ours.

 

Eglise d\\\'AnglesEglise d'Angles

 

 

Source internet : "La France pittoresque"-internet

Rédaction Jean-Pierre Bouchet



23/08/2019
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