Autrefois la Tranche

Autrefois la Tranche

Le chien et le loup

Le chien et le loup

L’chin et l’Louc

 

In louc, dépis longtemps, avet pas mangé d’oueille.

O s’étet pouet vu d’ baït’ pareille :

Si I avet d’ la chér sur la pé,

Est sûr qu’ i en avet djère épais.

En s’ peurmenant l’ rinkintre in bé chin,gras c’m in’ loche ;

Sans fair’ de magnér’ le s’approche.

Si i avet cru êtr’ le plus fort,

L’i aret bé mis lés trip’s dehors,

Mé l’ aotre étet in’ fort baïte,

Qu’étet bé d’ taille à ii t’gni’ taïte.

Quaqu’cthao louc l’avet jamais vu,

L’ djissit keum si l’ l’avet bé c’nu :

« O s’ouet bé d’après veutr’ figure

Que v’ vivez pouet ré qu’ de lavures ;

I ai déjà vu par mal de chins,

Mé i en ai bé jamais vu iin

Peurmener tant d’ graiss’ su l’échine.

Dame, ést vrai que v’s avez boun’ mine !

Qu’ést o que v’ mangez din

P’r aouer’ le poel si fin ?

« Si ést ma graiss’ qui v’ fait envie,

Sivez-m’ fit l’aotr’, d’éci deux mois,

V’s en permen’rez autant keum ma.

- I v’ sivra bé, mé i m’ méfie.

V’s arez bé vos occupations ?

- Oui, mettr’ dehors lés galopins,

Fiatter lés patrons, la chambrère,

Leucher lés mains d’ la tcheusinière ;

Ma foi, i cré qu’ést in pois tout.

Mé i en avins d’ tout’s lés magnères,

Chez nous i mangins jamais d’ous ;

I avins d’ la viand’ crue et pis tchette,

Pis toute c’ qui r’vint su lés assiettes.

Dépis qu’i keuneu p’r êtr’ in chin,

O m’a bé jamais manqu’ d’ rin ».

Ré qu’en pensant à tchelle tcheusine,

Noutr’ louc s’en leuchet lés babouines ;

Mé v’ la-t-o pas que l’ouet in coin

Qu’ lés poels manquiont su l’ cou dau chin

« V’s allez m’ trouver bé curieux, p’t-être,

V’ sing’rez aussi qu’ i en d’mand’ trop ling,

Mé v’s étez fourré dans l’ bouéssin,

O v’s  étez-v’ fait battr’ peur veutr’ maître ?

Que v’s avez l’ cou à mouété p’lé ?

-Est min collier qu’o-z-ara fait.

-Veutr’ collier ? –v’s ét’s din à l’attache ?

S’ret o qu’ le v’ prendriont p’r in’ vache ?

Dame, ést d’ qua qui s’fait pouet chez nous.

Allès-v’s en leucher veutr’ vaisselle,

Ma i m’ kintent’rai bé d’ més ous ».

Su tcheu le v’la qui court c’m fou ;

Pis, chaqu’ foués qu’ le r’singe à tcho cou,

D’la magnère i en r’court de plus belle.

Le chien et le loup

 

Un loup, depuis longtemps, n’avait pas mangé de mouton.

Il ne s’était pas vu de bête pareille :

S’il elle avait de la chair sur la peau,

Il est sûr qu’il n’y en avait guère épais.

En se promenant il rencontre un beau chien, gras comme une loche ;

Sans faire de manières il s’approche.

S’il s’était senti le plus fort,

Il lui aurait bien mis les tripes dehors,

Mais l’autre était une forte bête,

Qui était bien de taille à lui tenir tête.

Quoique ce loup ne l’avait jamais vu,

Il lui dit comme s’il l’avait bien connu :

« Ça se voit bien d’après votre figure

Que vous ne vivez pas rien que de lavures (eaux de vaisselle) :

J’ai déjà vu pas mal de chiens,

Mais je n’en ai jamais vu un

Promener tant de graisse sur son dos.

Dame, il est vrai que vous avez bonne mine !

Qu’est ce que vous mangez donc

Pour avoir le poil si fin ?

« Si c’est ma graisse qui vous fait envie,

Suivez-moi fit l’autre, d’ici deux mois,

Vous en aurez autant comme moi.

-Je vous suivrais bien, mais je me méfie.

Vous avez bien vos occupations ? (votre travail)

- Oui, mettre dehors les galopins,

Flatter les patrons, la femme de chambre,

Lécher les mains de la cuisinière ;

Ma foi, je crois que c’est à peu près tout.

Mais on en a avait de toutes sortes,

Chez nous on mangeait jamais d’os ;

On avait de la viande crue et puis cuite,

Puis tout ce qui restait dans les assiettes.

Depuis que je suis connu pour être un chien,

Il ne m’a jamais manqué de rien ».

Rien qu’en pensant à cette cuisine,

Notre loup s’en léchait les babines ;

Mais ne voilà t’il pas qu’il voit un endroit

Où les poils manquaient sur le cou du chien

« Vous allez me trouvez bien curieux peut-être,

Vous penserez aussi que je vous en demande trop long,

Mais vous vous êtes fourré dans le buisson,

Ou vous êtes-vous fait battre par votre maître ?

Que vous avez le cou à moitié pelé ?

-C’est mon collier qui aura fait ça.

-Votre collier ? –Vous êtes donc attaché ?

Ce serait-il qu’ils vous prendraient pour une vache ?

Dame, cela ne se fait pas chez nous.

Allez-vous en lécher votre vaisselle,

Moi je me contenterai bien de mes os ».

Sur ce le voilà qui court comme fou ;

Puis chaque fois qu’il repense à ce cou,

De cette façon, il recourt de plus belle.

 

 

Le_Loup_et_le_Chien

Fables en patois d'Eugène Charier - éditions Sodirel

Rédaction et traduction Jean-Pierre Bouchet

JPB   7-2020



18/07/2020
3 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 189 autres membres