Le paysan et ses enfants
L’pésan et ses Enfants |
Le Laboureur et ses enfants |
Quand l’bouhomm’ Ziguet d’la Naulère A-t-adju sés quatr-vingts ans, Le v’lit fairé koum sin défunt père, L’ fit v’gnir chez ii tous sés enfants. L’firont l’tour de la mouétairie, L’viront ensemb(i) lés embiaisins, Les abr’s qu’ (i) avet piantés d’ sa main, Lés jardins, l’gueurner, lés tèt’ries ; Pis, auss’ tout qu’(i) adjiront soupé Que l’moument v’gnit de s’séparer, Le s’mettchit d’bout d’vant la ch’minaïe, Vour qu’ (i) avet passé tout’s sés viaïes, Pis les dus mains sur sin bâtin, L’c’mencit à parler d’chell facin : « Dépis qu’(i) ai perdu veutr’ pauvr’ mère, En ai-z-i d’la misère ! La net (i) braillé bé daux foués, Pis la journaïe (i) bé r’queté ; Mé o v’la qu’i pé pus rin faire, Désormais ve m’verrez pus djère, Mes forces s’en vont rapid’ment, I oué qu’(i) en ai pus peur longtemps. I ai l’intenciin d’ fair’ l’ partage De tout min bien avant d’mourir, Mé, si ve v’lez m’ faire in piaisir Vendez pouet veutr’ part d’héritage ; Est d’qua d’ bé dur’ quand lés enfants S’défont dau bien d’lus pauvr’s parents. Si in jour v’s avez d’ la misère, V’ sing’rez qu’ol est veutr’ pauvre père Qu’o-z-a ramassé p’r entre vous ; Dame, ést d’qua qui m’ f’ret bisquer grous D’saouer, qu’in jour, in’ si boun’ terre Pass’ret peur lés mains dau notaire. Asture i va v’djire in secret : « I sais pas au juste l’adret, Mé i ai vu djir’ qu’in grousse boursaïe Dans iin d’nos champs étet cachaïe, In jour, à forc’ d’la chercher V’fignirez bé peur la trouver. R’tenez bé tout c’ qu’i vins d’v’ djire, Est pas ma qu’i peut v’s o-z-écrire ; I sens déjà que l’dormi m’prend, A rouer’ din, tous més pauvr’s enfants. » Auss’ tout qu’(i) adjiront fait l’partage, Lés v’la teurtous s’ mettre à l’ouvrage, A labourer jusqu’aux bouéssins, R’tourner la terr’ de cent facins, Briser lés mott’s, enl’ver lés pierres ; Ol avet pas in p’tchit coin d’terre Qu’avet pas été teurviré ; Et peurtant i avions rin trouvé. Mé, avec le temps tout arrive : Quand o sit l’moument daux métives, I ont r’marqué qu’étet dans lus champs Qu’ol étet v’nu l’pus bé fourment, Etet pareil peur la mougette, Pis pareil aussi peur lés bettes. Dépis t’cho jour i avons kimpris C’que lu pauvre père avet dit ; I o-z-ont s’djit bé daux foués à tab(i)e Qu’ (i) avet parlé keum dans lés fab(i)es Le v’let lu douner in’ leçin, Peur fair’kimprendre à la jeunesse Qu’sans l’travail ol a pas d’richesse, A cause ol a rin qui vint d’rin.
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Quand le bonhomme Ziguet de la Naulière (1) A eu ses quatre vingts ans, Il voulut faire comme son défunt père, Il fit venir chez lui tous ses enfants. Ils firent le tour de la métairie, Ils virent ensemble la propriété, Les arbres qu’il avait plantés de sa main, Les jardins, le grenier, les dépendances ; Puis, aussitôt qu’ils eurent soupé Que le moment vint de se séparer, Il se mit debout devant la cheminée, Là où il avait passé toutes ses veillées, Puis, les deux mains sur son bâton, Il commença à parler de cette façon : « Depuis que j’ai perdu votre pauvre mère, J’en ai eu de la misère ! La nuit j’ai pleuré bien des fois, Puis la journée je me suis bien remué ; Mais volià, je ne peux plus rien faire, Désormais vous ne me verrez plus guère, Mes forces s’en vont rapidement, Je vois que j’en ai plus pour longtemps. J’ai l’intention de faire le partage De tout mon bien avant de mourir, Mais si vous voulez me faire plaisir Ne vendez pas votre part d’héritage ; C’est très dur quand les enfants Se défont du bien de leurs pauvres parents. Si un jour vous avez de la misère, Vous songerez que c’est votre pauvre père Qui l’a amassé pour vous ; Dame, c’est ce qui me ferait grosse peine De savoir qu’un jour, une si bonne terre Passerait par les mains du notaire. Maintenant je vais vous dire un secret : « Je ne sais pas au juste l’endroit, Mais j’ai entendu dire qu’un gros magot Dans un de nos champs était caché, Un jour, à force de le chercher Vous finirez bien par le trouver. Retenez bien tout ce que je viens de vous dire, C’est pas moi qui peut vous l’écrire ; Je sens déjà que le sommeil me prend, Au revoir donc, tous mes enfants. » Aussitôt le partage fait, Les voilà qui se mirent tous à l’ouvrage, A labourer jusqu’aux buissons, Retourner la terre de cent façons, Briser les mottes, enlever les pierres, Il n’y avait pas un petit coin de terre Qui n’avait pas été retourné ; Et pourtant rien n’avait été trouvé. Mais avec le temps tout arrive : Quand ce fut le temps des moissons, Ils ont remarqué que c’était dans leurs champs Qu’il était venu le plus beau froment, C’était pareil pour la mogette, Et aussi pareil pour les bettes. Depuis ce jour ils ont compris Ce que leur pauvre père avait dit ; Ils ont dit bien des fois à table Qu’il avait parlé comme dans les fables. Il voulait leur donner une leçon, Pour faire comprendre à la jeunesse Que sans travail il n’y a pas de richesse, Parce qu’il n’y a rien qui vient de rien.
(1) La naulière est un lieu-dit près de Landeronde (85) |
Tiré du livre d'Eugène Charier Éditions Sodirel
Traduction JP Bouchet
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