Autrefois la Tranche

Autrefois la Tranche

Fable "le rat des villes et le rat des champs"

L’Rat  d’ville et L’Rat d’champ

In rat qui s’étet trouvé pris

Din in’ caiss’ peurmis d’ la mougette

Sit emm’né tout dret à Paris,

En pien dans l’quartier d’ la Villette.

Li qu’avet été habitué

Dans les grang’s et pis dans les téts

L’ savet pouet béred’ que min’ faire ;

Mé  o s’ trouvit tout bé peur ii,

In rat d’ ville, ma foi, bé poii,

S’ trouvant à passer, l’apeurcit,

Pis l’ invitchit à s’n ordjinaire.

I avet jamais rin vu d’ pareil :

Que tas d’vaissell’, més pauvres mindes !

Daux piats d’argent, daux piats d’ vermeil,

L’ pouvet pas en crèr’ sés deux eils.

C’ qu’ i v’ djis keuriez pas qu’ést daux kintes,

Ré qu’ d’ marcher d’ssus o sounet.

Ii qu’allet bé souvent manger

Dau bran dans les aog’s à goret,

L’ s’en trouvet bé in p’tchit gei-né,

Mé o ii fit passer la hinte,

D’ penser qu’ i allet bé s’ régaler.

V’s allez singer qu’à t’chell’ ribotte

I aret adju, séj d’aux caill’bottes,

Dau meuil, o bé dau gratin,

D’au pâté de pire o dau jambin.

D’ tout tcheu ol en sit pouet quesciin,

Mé keuriez pas qu’ ol avet rin.

Ol en avet d’ tout’s lés magnéres :

Poulet, gigot, ragout d’ moutin,

Assimentés d’ail et pis d’ thym ;

Dame, ést tcheu qui sentet à bin !

Pis, que tas d’ desserts ! mes amis,

D’ la crém’, dau gaté, dau  feurmage !

Pis kimbé d’ magnér’s de fritage !

D’ qua peur fair’ nocer dans l’ village

Tout l’ mind’ daux rats pis daux souris.

V’ pensez si l’ s’en firont d’ la bile !

Mé, pendant qu’ i étions bé tranquilles,

Tout d’in coup, v’la qu’ la port’ s’ovrit.

Si v’ les aviez pas vus prendr’ la fuite !

I v’ garantchis qu’ l’ fasions vite !

Mé c’ment fair’, Vour aller s’ cacher ?

Pas d’ fin, pas d’ fumer, pas d’ bourraïe ;

Seurment pas d’ paillass’ dans les lets !

C’ést qu’ést pad d’ qua qui badginet !

In chat s’ret v’nu faire sa viraïe,

L’ lés aret mangés d’affilaïe.

Quand t’cho brit a-t-été figni,

L’rat de’ mésin djissit a s’n ami :

« Est rin d’cheu, ést la tcheusiniére

Qu’avet oblié sa d’ vantére ;

Astur’ que l’ temps s’ést ékierzi,

I allins r’ tourner à nos routchis. »

-Nin pouet, ii fit sin camarade,

Quand i fais d’ pareill’s peurmenades,

A m’ copont tout d’ suit’ l’appétchit.

Peur ma, v’ s’ allez djire qui sé drôle,

Mé vos piats lés meux mirodés,

Deursés dans lés pus bell’s castrolles,

Quaque l’ sont bé assimentés,

Valont moins qu’ l’ piné d’ citrolle

Qu’i gross’, tranquill’ dans min coin d’ tet.

Au moins persoun’ vint m’ déranger.

La moral’ qui sort de tcho kinte

Pourret s’ djir’ vrai bé d’ tchett facin :

« Tant que v’ s’rez en pour et en crainte ;

V’ trouv’rez jamais d’ bounheur à rin. »

 

Un rat qui s’était trouvé prisonnier

Dans une caisse parmi de la mogette

Fut emmené tout droit à Paris,

En plein dans le quartier de La Villette.

Lui qui avait été habitué

Dans les granges et puis dans les étables

Ne savait pas beaucoup comment faire ;

Mais il se trouva bien pour lui,

Un rat de ville, ma foi bien poli,

Se trouvant à passer par là, l’aperçut,

Puis l’invita à son ordinaire.

Il  n’avait jamais rien vu de pareil :

Quel tas de vaisselle mes pauvres gens !

Des plats d’argent, des plats de vermeil,

Il ne pouvait pas en croire ses deux yeux.

Ce que je vous dis, ne croyez pas que ce sont des contes

Rien qu’à marcher dessus  ça tintait.

Lui qui allait bien souvent manger

Du son dans les auges à cochons,

Il s’en trouvait bien un petit peu gêné,

Mais ce qui lui fit passer la honte,

C’est de penser qu’il allait bien se régaler.

Vous allez penser qu’à cette ripaille

Il y aurait eu  des caillebottes,

Du millet, ou bien du gratin,

Du pâté de foie ou du jambon.

De tout ça il n’en fut pas question,

Mais ne croyez pas qu’il n’y avait rien.

Il y en avait de toutes les façons :

Poulet, gigot, ragout de mouton,

Assaisonnés d’ail et puis de thym ;

Dame ! C’est ça qui sentait  si bon !

Puis, quel tas de desserts ! mes amis,

De la crème, des gâteaux, du fromage !

Puis combien de sortes de fruits !

De quoi  pour faire la noce dans le village

Pour tout le monde des rats et des souris.

Vous pensez s’ils se feront du souci !

Mais, pendant que nous étions bien tranquilles,

Tout d’un coup, voilà la porte qui s’ouvrit.

Si vous les aviez vus prendre la fuite !

Je vous garantis qu’ils faisaient vite !

Mais  comment faire, où aller se cacher ?

Pas de foin, pas de paille, pas d’ ordures ;

Sûrement pas de de paillasse dans les lits !

C’est qu’il y avait pas de quoi s’échapper !

Un chat serait venu faire sa tournée,

Il les aurait mangés tous à la suite.

Quand le bruit fut fini,

Le rat de maison dit à son ami :

« Ce n’est rien, c’est la cuisinière

Qui avait oublié son tablier,

Maintenant que le temps s’est éclairci (calmé),

Nous allons retourner à nos affaires. »

-Non point, lui fit son camarade,

Quand je fais de telles promenades (péripéties).

Elles me coupent tout de suite l’appétit.

Pour moi, vous allez dire que je suis drôle (bizarre),

Mais vos plats les mieux mijotés,

Seraient-ils dans les plus belles casseroles,

Quoiqu’ils soient bien assaisonnés,

Valent moins que les pépins de citrouille

Que je croque tranquille dans mon coin d’étable.

Au moins personne ne vient de me déranger.

La morale qui sort de cette histoire

Pourrait se dire aussi bien de cette façon :

« Tant que vous serez en peur et en crainte ;

Vous ne trouverez jamais de bonheur à rien. »

 

Tiré du livre d’Eugène Charrier : « Fables en patois vendéen » - Éditions Sodirel

Traduction Jean Pierre Bouchet

 

Le rat des villes
Le rat des villes 2

 

 

 



23/05/2020
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