Autrefois la Tranche

Autrefois la Tranche

Le vielleux et les loups

Le viéleùs é lés loucs

 

Vielle à roue

 

Çhél ivar la, o fasét grand fréd. Ol étét aus alentours dau Mardi Gras. Ol avét in vieù qui jhouét de la viéle. Boursàud que le s’apelét. Le viéleùs étét venu dun pr faere dançàe a la véllàie. L’aviant bén dançai pardi é queme de coutume, le s’avant mi a ménjhàe lés cràepes é lés bignuns. É voela qu’avant de s’en alàe, le viéleùs sort de sun sat in grand bout de corde qu’étét petétre deùs foes lun queme mun bras. É pi çhau bout de corde étét en charve : àutrefés vous savéz, lés cordes avéc dés roluns bén sarais, o fasét queme de l’amadou : quant un o z-alumét, o brulét, mé sen se cunsumàe. Alore, il at fichai sun bout de corde den la vràese.

Queùquin at dit :

 Qu’ét o que vous faséz avéc voutre corde, vieù pére ? L’at dit :

 Vous cunprnéz, ol ét que l’àutre jhour, jhe me seù t-aprçu qu’o y avét in grand louc qui me seguét. Alore jhe me seù munit pr pa qu’i me segue é qu’i détale vite. En tapant çhéte corde su n-in pinié, en passant a coutai, o fét ine jharbe d’ « étincelles » pr z-y faere pour. Alore jh’éspére que de sér, le m’ennurat pa. Quant l’at étai pràet a partir, l’at prit sa pea de bique, l’at prit sun bounét de làene, l’at passai sun bissac pr dessu soun épaule, é l’at atrapai sa viéle. Sun bout de cablle, le l’at rolai autour de sun pougnét en tenant le bout en bas ; o le tenét alumai en marchant tout doucement, o fasét queme de l’amadou, ine petite vràese. Le vela partit. Le passét au mitan daus landes dau coutai de Loréne, a coutai d’Osillat… Tout d’in cot le se retorne, qui que le voet den le chemin ? Deùs élls. Lés piàus li en avant drçai tout debout sou sun bounét ! L’at dit : ça y ét, n-en velat in ! Alore le s’ét mit a balançàe sun cablle, pi le tapét su lés pais de pinié de loén en loén. Çhau louc au prmér abord le s’étét araetai, le s’étét assit. Pi quant l’at vu qu’ol étét pa pu danjhereùs que ça, l’at reprit le chemin. Noutre viéleùs marchét, le marchét bén, le volét poet courir pasque le savét que si le courét, çhau louc l’aurét ratrapai en vitéce. A n-in moument, le se retorne, o y en avét troes.

 A ! que le dessit, maleùr de moe, jhe seù foutut. Ol ét poet quésciun de muntàe den çhés piniés, a la hàuteùr qu’i fasiant – aléz dun gravàe den in pai de pinié ? I se dissit, si seùlement jh’étàe arivai au « Quatre Chemins », y at in pinié fégnant qu’at poussai au bord dau talut, o y at daus branches de travérs pr gravàe deden, pi jhe seràe t-échapai. I marchét, enfin, le marchét avéc çhau foutut bout de corde que le tapét le lun de çhés piniés. Quant le tapét sun bout de corde, lés loucs se teniant a boune distance. Mé c’ét qu’a force de tapàe su lés pais de pinié, çhau cablle finissét pr se cunsumàe, o n’en réstét pu ghére. O réstét pu de corde. Enfin, l’arive bé quant maeme a çheù cantun, pi y avét çhau pai de pinié qu’étét trjhou la. Le pose sun batun au pai, pi jh’aeme autant vous dire qu’il at étai vitement gravai deden le pinié. Pi su çhau pinié, étant jhéne, la tàete li avét étai copàie ; ol avét fét ine crafourche. Le s’ét énstalai a califourchun su çhéte crafourche, le s’ét dit « asteùre, més gas, jhe seù sauvai ; vous pouvéz regardàe si jhe déssend. » Alore çhélés loucs s’ant aprchais, é le se sant assits autour. Pi y en at in qui s’ét mit a poussàe in hu- hu pi ol at répundut aus alentours. Le se sant assits tout autour, é mun ga, assit su sa crafourche, i se disét : « Tant qu’o se passerat de maeme, le jhour véndrat, la lune vat se levàe petétre, pi le s’en irant. » Çhélés loucs étiant la, le chanjhiant de pllace, pi le regardiant en hàut… Au bout d’in moument, y en at in qui s’ét mit au pai dau pinié, pi le s’ét mit a gratàe, mit a gratàe, pi lés àutres atou, pi au fur é a mesure que le découvriant lés racines, le lés copiant avéc zeùs dents… Le s’ét dit : « Ça y ét, i z-alant déracinàe çhau pinié, jhe seù foutut. Alore la, i s’ét vut pardut. » Le disét : « Mun Gheù, mun Gheù, jhe seù pardut. L’alant le copàe. » Alore le férme lés élls, é le se dit : « Bun, avant de mouri, faut que jhe jhoue encore in aer de viéle ». Sa viéle étét su sés jhenélls, l’enpougne la manivéle, é le vela parti a tornàe çhéte manivéle : hou-hou-hou. Quant lés loucs avant entendu ça, l’avant drçai lés arélles ; pi li le cuntinuét hou-hou hou pi lés loucs avant araetai de gratàe avéc leùs pates pi lés velat partits a fouir, mé a fouir, queme si l’aviant ine éssém de burgàuds atour daus arélles. Li l’en créyét pa sés élls, le lés regardét fouir : « Qu’ét o que l’avant a fouir de maeme ? » Pi le torne core in cop de manivéle, pi le se dit qu’o senblle a daus burgàuds…

 A ! ma boune viéle, ma boune viéle, tu m’as sauvai la vie. L’avant crut qu’ol étét in éssém de burgàuds qui volét autour de leùs arélles ; ol ét pr ça que le sant fouits. Ma boune viéle, sen toe, qu’ét o que l’ariant trouvai au pai de çhau pinié ? mun bounét é toe…Eùreùsement que jh’avun oghut l’idàie d’en jhouàe in petit aer ! L’at atendu in petit, pr voer si dés foes i reveniant pa. Mé nun, i reveniant pa. Alore l’at déssendut ; le s’ét désencruchai de çhau pai de pinié. É quant l’at étai en bas, l’at ramassai sun batun pi l’at rentrai pr la petite route quant tout d’in cot i voet core deùs élls den la nuit… Le prent sés jhanbes a sun cou é l’at fét vitement le chemin qui li réstét a faere. L’at arivai a sa cabane pu vite que l’avét jhamae fét çhau chemin. Quant l’at arivai a la porte, l’at pa pardut de tenp a chrchàe la cllai pasqu’o y en avét pa ; l’at frmai çhéte porte, é pi l’at barai avéc ine grande bare de boes. É pi i s’ét dit : « Asteùre, jhe seù ché nous, tae ». Le s’ét sacai den sun lit, l’at tirai lés couvertures a li, é l’en at pa boujhai que le souléll étét hàut. Apràe, l’at atendut que l’ivar séjhe finit, que le bea tenp séjhe revenut pr voeyajhàe la nuit, tant que l’avét étai télement épourantai.

Cet hiver là, il faisait grand froid.

C’était aux environs du Mardi Gras. Il y avait un vieux qui jouait de la vielle. Boursaud qu’il s’appelait. Le vielleux était venu pour faire danser à la veillée. On avait bien dansé pardi et comme de coutume, on avait mangé des crêpes et des beignets.

Et voilà qu’avant de s’en aller, le vielleux sort de son sac un grand bout de corde qui était peut-être deux fois long comme mon bras. Et puis ce bout de corde était en chanvre : autrefois vous savez, les cordes étaient avec des torons bien serrés, ça faisait comme de l’amadou. Quand on l’allumait, ça brulait mais sans se consumer. Alors, il a fichu son bout de corde dans la braise.

Quelqu’un a dit :

Qu’est ce que vous faîtes avec votre corde, vieux père ? Il lui répondit :

Vous comprenez, c’est que l’autre jour, je me suis aperçu qu’il y avait un grand loup qui me suivait. Alors je me suis muni pour pas qu’il me suive et qu’il détale vite, En tapant cette corde sur un pin parasol, en passant à côté, ça fait une gerbe d’étincelles pour lui faire peur. Alors, j’espère que ce soir il ne m’ennuiera pas. Quand il a été prêt à partir, il a pris sa peau de bique, il a pris son bonnet de laine, il a passé son havresac par-dessus son épaule et il a attrapé sa vielle. Son bout de câble, il l’a enroulé autour de son poignet en tenant le bout en bas ; il le tenait allumé en marchant tout doucement ; ça faisait comme de l’amadou, une petite braise.

Le voilà parti. Il passa au milieu des landes du côté de Lorène à côté d’Osillat...

Tout d’un coup, il se retourne et qu’est ce qu’il voit dans le chemin ? Deux yeux !  Les cheveux lui sont dressés tout debout sous son bonnet !

Il a dit : ça y est en voilà un ! Alors il s’est mis à balancer son câble, puis il le tapait sur les pieds des pins de loin en loin. Ce loup, au premier abord, s’était arrêté et s’était assis. Puis quand il a vu que ce n’était pas plus dangereux que ça, il a repris son chemin. Notre vielleux marchait, il marchait bien, il ne voulait pas courir parce qu’il savait que ce loup l’aurait rattrapé en vitesse. A un moment, il se retourne, il y en avait trois.

Ah ! Qu’il se dit, malheur de moi, je suis foutu. Il n’est pas question de monter dans ces pins vu la hauteur qu’ils faisaient. Allez donc monter dans un pied de pin !  Il se dit : si seulement j’étais arrivé aux « quatre chemins», il y a un pin fainéant qui a poussé  au bord du talus, il y a des branches de travers pour monter dedans puis je serai sauvé. Il marchait, enfin, il marchait avec ce foutu bout de corde qu’il tapait le long de ces pins.

Quand il tapait son bout de corde, les loups se tenaient à bonne distance. Mais c’est qu’à force de taper sur les pieds de pins, la corde finissait par se consumer ; il n’en restait plus guère. Il ne resta plus de corde. Enfin, il arriva quand même à ce carrefour puis il y avait ce pied de pin qui était toujours là. Il pose son bâton au pied, puis je vais vous le dire qu’il a vite monté dans le pin.

Sur ce pin, étant jeune, on lui avait coupé la tête. Ce qui avait lui fait une grosse fourche.

Il s’est installé à califourchon sur cette fourche et s’est dit : « maintenant mes gars, je suis sauvé », vous pourrez regarder si je descends.

Alors les loups se sont approchés et se sont assis autour. Puis il y en a un qui s’est mis à pousser un « hou-hou » puis on lui a répondu aux alentours. Ils se sont assis tout autour, et mon gars, assis sur sa branche, il se disait : « Tant que ça se passera comme ça, le jour viendra, la lune va se lever peut-être puis ils s’en iront ». Chez les loups qui étaient là, ils changeaient de place en le regardant là-haut.... Au bout d’un moment, il y en a un qui s’est mis au pied du pin puis il s’est mis à gratter, mis à gratter, puis les autres aussi, puis au fur et à mesure qu’ils découvraient les racines, ils les coupaient avec leurs dents...

Il s’est dit : « Ils vont déraciner le pin, je suis foutu ». Alors là il s’est vu perdu. Il disait : »Mon Dieu, mon Dieu, je suis perdu. Ils vont le couper. Alors il ferme les yeux et il se dit : » Bon, avant de mourir, il faut que je joue encore un air de vielle ». Sa vielle étant sur ses genoux, il empoigne la manivelle et le voilà parti à tourner cette manivelle : hou-hou-hou

Quand les loups ont entendu ça, ils ont dressé les oreilles ; puis lui il continuait : hou-hou-hou et les loups se sont arrêté de gratter avec leurs pattes puis ils se sont mis à fuir mais à fuir comme s’ils avaient un essaim de frelons autour des oreilles. Lui n’en croyait pas ses yeux, il les regardait fuir : «  qu’est ce qu’ils ont à fuir comme ça ? » et il donne encore un coup de manivelle et se dit que ça ressemble à des frelons...

Ah ! Ma bonne vielle, ma bonne vielle, tu m’as sauvé la vie, tu m’as sauvé la vie. Ils ont cru que c’était un essaim de frelons qui tournait autour de leurs oreilles ; c’est pour ça qu’ils se sont enfuis. Ma bonne vielle, sans toi, qu’est ce qu’on aurait trouvé au pied du pin ? Mon bonnet et toi...

Heureusement que j’ai eu l’idée d’en jouer un petit air ! Il a attendu un peu, pour voir s’ils ne revenaient pas. Mais non, ils ne revenaient pas. Alors il est descendu, jusqu’au pied du pin. Et quand il a été en bas, il a ramassé son bâton puis il est rentré par la petite route quand, tout d’un coup, il voit encore deux yeux dans la nuit. Il prend ses jambes à son cou et a fait très vite le chemin qui lui restait à faire. Il est arrivé à sa cabane plus vite qu’il n’avait jamais fait ce chemin.

Quand il est arrivé à la porte, il n’a pas perdu de temps à chercher la clé parce qu’il n’y en avait pas. Il a refermé la porte et il l’a verrouillée avec une grande barre de bois. Et puis il s’est dit : "Maintenant, je suis chez nous, tiens ! ».  il s’est réfugié dans son lit, il a tiré les couvertures à lui et n’en a pas bougé tant que le soleil était haut. Après il a attendu que l’hiver se finisse, que le beau temps soit revenu pour voyager la nuit tellement qu’il avait été épouvanté.

 

 

Ce texte d’Emma Robert et Maryvonne Barillot recueilli à Ozillac (Charente Maritime) évoque les loups dont la présence a marqué l’imaginaire et la littérature orale, longtemps après leur disparition du Poitou et de la Saintonge.

Traduction : Jean-Pierre Bouchet – Autrefois La Tranche



08/10/2021
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