La légende du bras rouge
La légende du bras rouge
Dans le Marais poitevin, à une époque où on n’apprenait pas à nager, l’effrayante légende du Bras rouge incitait les enfants à se méfier de l’eau. La proximité constante de l’eau rend ce péril omniprésent. Dans les années 20, à défaut de savoir nager, une légende avait vu le jour, destinée à éloigner les enfants des berges.
Le bras ou la main rouge est une forme de Croquemitaine, un personnage maléfique destiné à décourager les enfants de s’approcher de l’eau. A l’époque, dès qu’un petit enfant, se rendant à l’école en barque, se penchait un peu trop au dessus de l’eau, hop, la main rouge ensanglantée surgissait pour entraîner l’enfant jusqu’au fond des Marais et le noyer.
Une astuce imparable qu’avaient trouvé les parents pour que les petits enfants ne s’approchent pas de l’eau.
C’est l’histoire d’une partie de pêche qui tourne au drame :
À 7 ans, Félix est un petit garçon qui ne pèse pas plus lourd qu’un sac de mojettes. Parce qu’il a la tignasse noire et les cheveux frisés, on l’appelle « Le Gueurlet ». Le p’tit Félix est timide et crédule. Il habite à la sortie du bourg de Coulon à proximité de la rivière. Très à l’écoute de sa maman, pour rien au monde, il ne se serait aventuré à jouer dans les bateaux à fond plat. Ses parents sont des gens modestes : le papa travaille à la scierie, la maman fait des ménages chez les bourgeois du village.
Le jeudi les enfants n’ont pas classe, Félix aime se promener sur les quais. Sa maman lui a bien dit : « Surtout ne t’approche pas de la rivière. Le Bras rouge t’attraperait par les cheveux et te tirerait tout au fond, jusqu’en dessous des herbes ».
Pour rien au monde, il n’aurait désobéi. Mais ce jour-là, il se laisse entraîner par une bande de garçons qui va à la pêche aux brochets : « Vous n’en prendrez même pas un ! », les défie Félix. « Tu ne veux pas v’nir parce que t’as peur du Bras rouge », lui rétorque le gros Eugène, le fils du ferblantier. Victime des quolibets, le Gueurlet (*) riposte, réclame une gaule et un nœud coulant.
(*) - Gueurlet -->Grillon
La bande atteignit le halage. Devant les herbiers, les brochetons longs comme des crayons étaient à l’affût au soleil, immobiles le long des herbes. L’opération était simple : les drôles s’approchaient doucement et essayaient de passer le nœud coulant en crin de cheval autour du poisson. La vue des brochets fascinait le p’tit Gueurlet (*). Alors que la troupe s’égayait le long des rives, Félix découvrait là un monde nouveau. Obnubilé par les brochets, il ne s’était pas aperçu qu’il se trouvait sous le grand pont de Coulon et qu’il s’éloignait du village. Plus de maisons, plus d’escaliers, plus de bateaux, il était seul, ses copains avaient disparu. Mais l’attrait des brochets était le plus fort.
La rive devenait escarpée avec de grandes herbes trompeuses. Isolé face au fleuve, il arrive alors au grand trou de Maurepas. Immobile, devant lui, un énorme brochet qui pouvait peser 4 à 5 livres. Tétanisé, Félix, presque apeuré, se concentre. Il mesure toute l’étendue qui le sépare du monstrueux poisson. Il essaie de se caler au bord de la rivière, il se penche, le brochet est à quelques pas de lui.
Tout à coup, il y a eu un cri, un bruit d’herbes froissées et des jaillissements d’eau. Et voilà comment le p’tit Gueurlet, qui avait désobéi à sa maman, qui ne voulait pas passer pour une mauviette, fut tiré au fond de la Sèvre, dans le grand trou de Maurepas, dévoré par le Bras rouge.
Cette histoire du « Bras rouge » a en fait été écrite par Louis Perceau, jeune homme à l’esprit frondeur et à l’écriture talentueuse, qui s’inspirait de la vie maraîchine de l’époque dans des récits où le fantasmagorique prend le pas sur la réalité. Les familles du Marais vont religieusement conserver cette légende afin d’éviter la noyade à leurs enfants.
Le quai Louis-Tardy à Coulon, source d’inspiration de Louis Perceau pour sa légende du Bras rouge.
Publié dans le journal des Deux Sèvres La Nouvelle République
ALT - JPB - 9-2024
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