Autrefois la Tranche

Autrefois la Tranche

Le loup devenu berger

 

Le loup devenu berger

Le Loup devenu Berger - La Fontaine. Fables et images - Institut de France

Le louc qui vut s’faire beurger

 

Les loucs eumont rin tant qu’les ouelles ;

Qu’o sèj daux jenn’s, qu’o sèj daux veilles,

I en mangeont jamais lu kintent.

I cré qu’i en mangeriont tout l’ temps.

A peurpos d’louc, o faut qu’i v’ rakinte ine histouère.

I la tins dau bounhomm’ Grégoire ;

A illi v’net dau défunt Carcao,

Qui la t’net dau bounhomm’ Racao.

Si i ai pas perdu la mémoire,

Un louc s’étet émaginé

Qu’si le s’dédjiset en beurger,

L’ mang’ret  daux oueill’s autant qu’ le v’dret.

Voyet-euil kièr o pas, n’importe !

Enfin, ést teurjous bé qu’ le s’ dédjisit d’ la sorte :

L’ prit in’ tchulott’ bousous’ qui traîn-net dans l’chemin,

In’ chemise éparaïe à couté daux communs,

In pain-n’tôt pus ciré qu’in pain-n’tôt d’ galopin,

In’ pair’ de bott’s à tchige usaïes jusqu'aux talins,

In chapé à tch.. hao qu’avet train-né dans l’ suint,

Et  pis peur s’appouer d’ssus, l’ volit in’ grande aguien.

V’ pensez si étet bé pis si l’ sentet à bin !

I étet épouvantabie et pis zirabie à ouère.

L’  s’am’ gnit, accoutré d’ tchell magnère,

Dans l’ grand Chirin d’ la Pod-vinère

Avour qu’ i aviont coutum’ de mett’ les ouiell’s dehors.

C’m o faset in chalur de mort,

Etet à qui dans le champ aret dormi l’ pus fort :

 

L’ chin dormet à couté d’in’ pierre,

Lés oueill’s à couté dau bouéssin,

Et pis l’ beurger, qu’étet pas loin,

Dormet d’ kinre in grous apoupin.

Peur pas manquer sin coup, v’là c’ que l’ décidjit d’faire :

L’ crut que d’ saluer lés oueill’s o manqu’ret pas d’lu piaire,

Qu’en tout cas ést pouet tcheu qu’allet gâter s’n affaire.

Le s’ mit à parler, mé  i a-t-adju grand tort ;

Sa voix aret révié lés morts.

Tous tchés qui s’ trouviont à la rinde

En timbiront teurtous d’accord

Qu’ ol avet pas d’ chrétchin dans l’ minde,

Peur s’épirailler aussi fort.

En in’ seguinde,

Lés  oueill’s, le chin, l’ beurger

Siront su pied.

Dés tcho moument, i a bé dû ouère

Que s’n affaire étet pas trop kière.

En vir’ main,

L’ beurger sautchit su sin bâtin,

Il li cassit en deux su lés reins.

Pis l’  l’achevit après, avec sa propre aguien.

L’ chin, qui illi tchiroillet lés joues,

Ill’ avet arraché l’ bout d’ la quoue.

Dès que l’ viront qu’ i étet figni,

Lés gnas en sautchiront d’ piaisi ;

O sit in’ grand’ faït’ chez les oueilles.

 

Astur’, v’ là la motal’ qui sort de tcho récit :

--V’ pourrez la médjiter si v’s en avet l’ lési—

Dans l’ minde, aussi bé qu’ chez lés baïtes,

Faut tourjous v’ moutrer tels que v’ s eïtes.

 

 

 

 

Le loup qui voulut se faire berger

 

Les loups n’aiment rien autant que les moutons ;

Que ce soit des jeunes, que ce soit des vieux,

Ils n’en mangeraient jamais leur content.

Je crois qu’ils en mangeraient tout le temps.

A propos de loup, il faut que je vous raconte une histoire.

Je la tiens du bonhomme Grégoire ;

Elle lui venait du défunt Carcao,

Qui la tenait du bonhomme Racao.

Si je n’ai pas perdu la mémoire,

Un loup s’était imaginé

Que s’il se déguisait en berger,

Il mangerait des moutons autant qu’il le voudrait.

Voyez clair ou pas, peu importe !

Enfin, c’est toujours bien se qu’il se disait ainsi:

Il prit une culotte boueuse qui traînait dans le chemin,

Une chemise étendue à côté des communs,

Un paletot plus ciré qu’un paletot de romanichel,

Une paire de bottes à tige usées jusqu’aux talons,

Un chapeau qui avait traîné dans la suie,

Et puis pour s’appuyer dessus, il vola un grand aiguillon.

Vous pensez si c’était bien et s’il sentait bon !

Il était épouvantable et dégoûtant à voir.

Il s’amena, accoutré de cette façon,

Dans le grand Chirin de la Podevinière

Où on avait l’habitude de mettre les moutons dehors.

Comme il faisait une chaleur de mort,

C’était à qui dans le champ aurait dormi le plus fort :

Le chien dormait à côté d’une pierre,

Les moutons à côté des buissons,

Et puis le berger qui n’était pas loin,

Dormait contre un gros peuplier.

Pour ne pas manquer son coup, voilà ce qu’il décida de faire :

Il crut que de saluer les moutons ne manquerait pas de leur plaire,

Qu’en tout cas ce n’est pas ça qui va pourrir son action.

Il se mit à parler, mais il eut grand tort ;

Sa voix aurait réveillé les morts.

Tous ceux qui se trouvaient à la ronde

En tomberont tous d’accord

Qu’il n’y avait pas de chrétien dans le monde,

Pour s’égosiller aussi fort.

En une seconde,

Les moutons, le chien, le berger

Sont sur pied.

Dès cet instant, il a bien dû voir

Que son affaire  n’était pas très nette.

En un tour-de-main,

Le berger sauta sur son bâton,

Et lui cassa en deux sur les reins.

Puis il l’acheva après avec son propre aiguillon.

Le chien qui lui tiraillait les joues

Lui avait arraché le bout de la queue.

Dès qu’ils virent que c’était fini,

Les agneaux en sautaient de plaisir ;

Ce fut une grande fête chez les moutons.

 

Maintenant, voilà la morale qui sort de ce récit :

(Vous pourrez la méditer si vous en avez le temps)

Dans le monde, aussi bien que chez les bêtes,

Faut toujours vous montrer tel que vous êtes.

 

 

(aiguillon : grand bâton pour guider les bœufs)

 

Rédaction et traduction : JP Bouchet - ALT - 10-2022



13/11/2022
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